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  • Résumé chapitre 8 Social-démocratie 2.0 – Stéphane Paquin et Luc Godbout

    La fiscalité est une science bien complexe qui peut parfois sembler lointaine, mais qui a pourtant d’importantes implications sur le modèle de société que nous choisissons de nous donner... qu’il soit social-démocrate ou non. Dans le huitième chapitre, Stéphane Paquin (professeur de l’ENAP spécialisé en économie politique) et le célèbre économiste Luc Godbout ont choisi de s’intéresser au cas du Danemark.

     

    Leur objectif est de comprendre comment relever les défis posés par les déséquilibres fiscaux de l’État moderne et la réalité de la mondialisation. Ils soulèvent ainsi la question suivante : « peut-on favoriser la croissance économique et une hausse des revenus de l’État sans démanteler l’État social ni créer une augmentation très importante des inégalités ? ». Dès le début du chapitre (p. 189-195) Paquin et Godbout affirment que le Danemark est un exemple pour relever ce défi. Ils louangent les résultats du Danemark dans la réalisation d’une réforme fondée d’abord sur ce qui est appelé le « Triangle d’or » du succès de l’économie danoise et ensuite sur une TVA sociale (importante taxe à la consommation) pour financer l’État social-démocrate. Il semblerait qu’elle ait réussi à redonner au Danemark une prospérité mise en danger vers le début des années 1990 (réduction de la dette, surplus budgétaires, balance commerciale positive, augmentation de la productivité et du taux d’emploi). Bref, comme le concluent les auteurs « Le Danemark est devenu un pays efficace économiquement et juste socialement » (p. 211).

     

    Le Danemark a cherché à développer un marché de l’emploi dynamique et flexible en enlevant pratiquement toutes règlementations et les charges à l’emploi pour les entreprises dans le but d’augmenter ainsi leur compétitivité et leur profitabilité (p. 196, 203). Pour y parvenir, l’État danois a misé sur ce qu’on appelle le « Triangle d’or » qui repose ainsi sur trois piliers : 1- une protection sociale très généreuse permettant de réduire les inégalités et d’avoir une population disposant d’une forte employabilité; 2- une politique active de l’emploi pour replacer rapidement ou former davantage ceux qui perdent leur emploi; 3- un système de « flexisécurité » donnant une grande marge de manœuvre aux entreprises sans (trop) nuire aux travailleurs. C’est sur ce dernier point qu’il convient de porter un peu plus notre attention puisque c’est celui-ci qui est au coeur de la réforme présentée par les auteurs (p. 190). La « flexisécurité » repose elle aussi sur trois bases : 1- la dérèglementation de l’emploi (ex. : pas de salaire minimum); 2- La prise en charge des travailleurs par l’État en fonction du principe que la flexibilité de l’emploi est de l’intérêt du pays et qu’il est de la responsabilité de tous d’éviter qu’un chômeur tombe dans la spirale de la pauvreté; et 3- une politique de replacement laissant peu de choix aux chômeurs d’accepter les emplois offerts (p. 197-198). Comme son nom l’indique, la « flexisécurité » offre aux employeurs une grande flexibilité leur permettant de rester compétitifs dans une économie mondialisée tout en accordant une sécurité aux individus que sont les travailleurs. 

     

    Contrairement à de nombreux pays au tournant des années 1990, le Danemark n’a pas réduit ses dépenses publiques (p. 199). Il a plutôt continué de prendre en charge les populations à risque et d’offrir une assurance emploi généreuse. Toutefois, toutes ces mesures coûtent cher et le choix de limiter les revenus venant des entreprises (les impôts sur les bénéfices des entreprises comptent pour seulement 6% du budget de l’État) a fait en sorte de reporter le fardeau fiscal sur la population. C’est ainsi qu’il a été choisi d’introduire une TVA sociale (taxe à la consommation de 25% !) pour financer les programmes sociaux nécessaires à la prospérité collective. Cette taxe compte peu d’exonérations (ex. : les aliments sont taxés) (p. 202). En fait, il semblerait que d’une manière pragmatique, le Danemark se soit adapté aux demandes, traditionnellement de droite, de libéralisation du marché du travail tout en conservant un État social-démocrate très présent.

     

    Selon les auteurs, cette approche compte de nombreux avantages autres que ceux concernant le dynamisme du marché du travail. D’abord, il s’agit d’une réforme qui permet à l’économie danoise de se développer presque par protectionnisme tout en se tournant vers l’exportation et en s’inscrivant dans les cades de l’OMC. En effet, un produit fabriqué en Chine ou au Danemark apportera pratiquement autant de revenus à l’État danois, mais l’entreprise danoise profitera de la grande employabilité de la main d’œuvre sans compter une diminution importante des coûts de transport pour le marché européen. Aussi, les entreprises danoises sont avantagées par rapport aux autres entreprises de l’Occident qui doivent assumer des charges sociales plus importantes (p. 204). La TVA sociale et la « flexisécurité » agissent ainsi en tant que mesures antidélocalisation (p. 206). Aussi, l’utilisation de la taxe à la consommation permet d’enlever une part du fardeau fiscal de la population active et du marché du travail puisque tous paient une part en fonction de leur consommation (retraités et autres membres de la population statistiquement inactive) (p. 210). Ensuite, il est impossible (ou difficile) d’échapper à la taxe à la consommation si l’on compare avec l’impôt (évasion fiscale, diverses déductions, gains en capital). Les mesures sociales permettant de maintenir un bon taux d’emploi assurent une prospérité qui est dans les faits assez bien distribuée. D’ailleurs, malgré le fait que la taxe à la consommation puisse sembler être une mesure de prélèvement fiscal régressive, les auteurs démontrent contre toute attente qu’il existe une corrélation entre les pays où les taxes sont les plus élevés et ceux où l’égalité des revenus est la plus grande (p. 209). Cette corrélation n’est peut-être que circonstancielle et il n’est pas dit qu’un haut niveau de taxation évite les inégalités sociales, mais elle prouve que ce n’est pas incompatible.   

     

    Finalement, les auteurs nous mettent en garde contre les potentiels effets négatifs d’une TVA sociale et surtout d’une instauration trop rapide : baisse du pouvoir d’achat des citoyens, augmentation de la contrebande (p. 208). Ils évoquent aussi le fait que les marges de manœuvre dégagées par les entreprises ne soient pas utilisées afin de rendre l’entreprise plus compétitive, mais seulement pour accroitre les profits (p. 208). Cela n’empêche pas que les principaux effets négatifs concernent l’aspect politique, voire électoral, de l’instauration d’une telle taxe. Les taxes sont impopulaires certes, mais elles sont nécessaires à la prospérité collective comme nous le montre l’exemple danois. Aurons-nous au Québec le courage politique, mais surtout civique, de définir une stratégie collective à la manière des danois ? L’instauration d’une TVA sociale semble être un modèle qui a répondus aux problèmes danois qui ressemblait beaucoup aux problèmes actuels du Québec, mais il existe d’autres manières de faire. Pourrons-nous faire preuve d’assez de pragmatisme pour tenir un vrai débat collectif fondé sur des données scientifiques (sans pour autant éluder le clivage gauche/droite) et définir ce que sera le modèle québécois au 21e siècle ? Nous ne pouvons que l’espérer.

     

    Jean-François Sabourin

  • Résumé Chapitre 6 de Social-démocratie 2.0 – Les compétences civiques scandinaves – Henri Milner

    Lorsqu’il est question des pays scandinaves et de leur modèle de société, on entend souvent dire que la culture étant différente, il n’est pas possible de le transposer au Québec. Le Québec est en Amérique et les Scandinaves (au contraire des Québécois…) sont très disciplinés! Dans le chapitre six (6) de Social-démocratie 2.0,  Henry Milner, professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal et spécialiste de la Scandinavie (p. 139), cherche à saisir ce qui fait la particularité culturelle nordique. Dès le début du chapitre, il pose qu’il est vrai que les pays nordiques peuvent compter sur des compétences civiques plus élevées qu’ailleurs en Occident (p. 139, 141). C’est ainsi par ce facteur que l’auteur tentera d’expliquer la différence entre les cultures québécoise et scandinave. Toutefois, pour Milner, il est évident que la compétence civique peut s’acquérir et que les Québécois ne sont pas condamnés à la médiocrité civile contrairement à ce que pourrait laisser entendre la généralisation énoncée plus haut.

     

    Mais qu’entend-on justement par compétences civiques? Milner propose une définition : « capacité des citoyens à comprendre la réalité politique ainsi qu’à identifier les alternatives en matière de partis et de politiques publiques proposées ». Il s’agit en fait de la capacité intellectuelle du citoyen d’être engagé dans les affaires de la Cité. Pour l’auteur, « les compétences civiques s’acquièrent donc par la redistribution matérielle et surtout intellectuelle » (p. 141). L’acquisition et le développement de celles-ci passent principalement par l’éducation des adultes, les cercles de lecture, le soutien aux médias publics ainsi que les librairies populaires (p. 141). L’auteur affirme qu’un bon niveau de compétence civique amène une participation politique et électorale plus importante et favorise la capacité des milieux défavorisés à se représenter eux-mêmes (p. 141).

     

    Après cette brève introduction conceptuelle, l’auteur aborde la question des liens entre la redistribution matérielle et intellectuelle. En fait, l’auteur démontre statistiquement qu’il existe un lien important entre l’équité matérielle et intellectuelle (p. 141-143). En cette matière, les pays scandinaves sont des modèles à suivre (moins d’écart entre les plus et moins éduqués pour la compréhension de la lecture (p. 142), dans la compréhension des institutions européennes (p. 143) et dans les tests de connaissances générales). Bien qu’il semble certain qu’il existe une relation vertueuse entre équité matérielle et intellectuelle (p. 141-142), l’auteur insiste principalement sur un côté de la relation : « Les États les plus développés font donc davantage d’efforts dans le but de transmettre de l’information aux classes les plus modestes, qui militent à leur tour en faveur de politiques sociales plus développées et plus susceptibles de redistribuer la richesse » (p. 143). L’auteur pose que l’acquisition de compétences civiques (redistribution intellectuelle) vient nécessairement avant la redistribution matérielle. Il ne semble pas s’appuyer sur une étude lui permettant de justifier que la relation ne s’effectue pas d’abord à sens inverse. Au-delà de cet accroc méthodologique mineur dans le lien de causalité dû au fait de poser un moment initial dans la relation, l’auteur réussit à démontrer hors de tout doute que des citoyens plus informés font de meilleurs choix sociétaux et mènent à des sociétés plus égalitaires (p. 145).

     

    Dans les pages suivantes (p. 146-151), Henry Milner entreprend de décrire brièvement une multitude de mesures qui permettent d’ « atteindre les compétences civiques ». Encore une fois, ses démonstrations s’appuient sur des données quantitatives. Ainsi, il avancera que le soutien aux journaux et leur circulation ainsi que l’éducation permanente favorisent le développement de compétences intellectuelles nécessaire à la citoyenneté (p. 146). Ensuite, Milner affirme que les systèmes politiques nordiques (fondés sur la construction de consensus politiques dans le cadre d’élections proportionnelles) favorisent en soi le développement des compétences civiques (p. 147). En effet, dans les pays qui choisissent ce mode de scrutin, les connaissances du monde politique sont moins liées au niveau d’éducation (p. 147). Aussi, les Scandinaves sont bien plus nombreux que les autres à suivre la politique et les actualités sur les médias sociaux (p. 148). Finalement, l’auteur évoque l’expérience norvégienne du minitinget, une simulation parlementaire à laquelle tous les élèves norvégiens doivent se soumettre. Elle permet à tous les citoyens de se familiariser avec les processus politiques (p. 150-151). À la lumière des preuves statistiques avancées par Milner, il est indéniable que l’obligation de suivre des cours (plus ou moins formel) d’éducation civique au niveau secondaire ou collégial contribue au développement des compétences civiques.        

     

    Après avoir fait un bref portrait des bonnes pratiques nordiques, l’auteur aborde sans ménagement la situation problématique du Québec et du Canada. D’abord, il s’attaque à la question de la participation électorale qui est pour lui symptomatique d’un manque de compétences civiques sans en être la cause (p. 151-152). En fait, pour l’auteur, le problème le plus important du Canada et particulièrement du Québec est la littératie. Il est bien connu, qu’au Québec, environ la moitié de la population est considérée comme analphabète fonctionnelle. Au Canada, 75% de la population n’ayant pas de diplôme d’études secondaires entre dans cette catégorie (p. 153). Considérant le problème du taux de diplomation particulièrement important au Québec (il est en queue de peloton au Canada) (p. 155), cela pose un problème de redistribution intellectuelle important. Sur ce point, la seule source de réconfort concerne le fait que les jeunes générations commencent à rattraper le retard du Québec dans la fédération en éducation secondaire et en littératie en se rapprochant de la moyenne canadienne.

     

    L’auteur conclut le chapitre en rappelant que le développement des compétences civiques devrait être une priorité pour une société souscrivant à un idéal social-démocrate : « Le Québec se targue d’être une société plus solidaire que celle de ses voisins en Amérique du Nord. Or, moins les citoyens s’intéressent aux affaires publiques et à la politique, plus l’État s’affaiblit au profit des autres pouvoirs au sein de la société » (p. 155). Henry Milner propose ainsi de « donner la priorité à la promotion des compétences générales, surtout chez les marginaux, notamment les garçons issus de milieux défavorisés » (p. 156). Il recommande aussi de développer davantage les cours consacrés au développement des compétences civiles à l’école en s’inspirant entre autres du modèle norvégien du minitinget. Finalement, il suggère que l’État soutienne activement l’éducation permanente sous toutes ses formes (des cours d’éducation aux adultes jusqu’aux subventions pour les plus petits journaux). La posture théorique adoptée par l’auteur sous-entend que si l’on appliquait les mêmes mesures qu’en Scandinavie, on pourrait raisonnablement s’attendre aux mêmes résultats. Cela prête à rêver et rappelle qu’une culture politique et sociale est évolutive, qu’il faut l’entretenir, mais qu’on peut aussi activement la développer.

     

     

    Jean-François Sabourin